René Dumont, ancien candidat écologiste à
la présidence de la France (1974), a quitté ce monde.
Pour toute une génération d’anciens étudiants
et jeunes intellectuels des années 60 et 70, Dumont aura
été un phare. C’était le phare d’une
conscience lucide, comme il n’en existe plus que très
peu dans le domaine des études agraires et du développement
rural, et l’on ne peut que regretter aussi le décès,
il y a deux ans, de Pierre Gourou, le grand géographe des
pays du Sud.
La conscience- Dumont s’évertuait à remettre
en cause ce qui paraissait le plus évident à l’époque,
la construction des nouveaux Etats, souvent dans la mouvance socialiste.
Non pas que Dumont ait été anticommuniste, il était
simplement un être libre qui réfléchissait les
schémas donnés de l’intérieur. Il nous
montrait déjà à cette époque comment
l’agriculture industrielle, celle des grandes fermes du Middle
West comme celle des plaines ukrainiennes (Sovkhoz, kol khoz, ou
le problématique communisme (1964), était contre-productive
et écologiquement malsaine. Il énonçait clairement
que l’agriculture familiale polyvalente était la voie
à suivre.
Mais Dumont comprenait aussi que les faux modèles viennent
de mauvais dirigeants, de profiteurs et d’incapables. Aussi
fustigeait-il les comandantes cubains qui, reconvertis en dirigeants
de fermes d’Etat, se croyaient toujours à la tête
d’un bataillon. Il tentait de faire comprendre que l’on
ne mène pas les paysans à la cravache, mais qu’il
faut partir du paysan pour bâtir. Aussi pouvait-il légitimement
écrire son Cuba est-il socialiste ? (1970), après
avoir affirmé de manière péremptoire en 1962
que L’Afrique noire est mal par tie. Personne n’avait
vraiment cru à cette prophétie à l’aube
des indépendances, et pourtant, malheureusement, Dumont avait
vu juste. Sa réflexion et ses nombreuses études de
terrain l ’avaient conduit en 1966 déjà à
écrire Nous allons à la famine, un ouvrage qui lui
aussi fut considéré comme excessif. Nous mesurons
aujourd’hui encore mieux combien les dirigeants auraient dû
prendre au sérieux les critiques de ce livre à l’égard
des régimes agraires en vigueur, à l’Est comme
à l’Ouest et au Sud.
L’héritage intellectuel de René Dumont reste
présent chez ceux qui l’ont connu dans ses belles années,
mais aussi dans les mouvements nouveaux, comme Via campesina. Merci
d’avoir semé les graines, Monsieur Dumont, elles commencent
à germer.
Claude Auroi - Horizons IUED | no35 | juillet 2001